Pour une bouchée de pain !


J'ai une tendresse particulière pour le square des Batignolles. Son lac, sa cascade, son décor rocailleux parfaitement kitsch. Ses bancs où j'ai traîné adolescente, ses bosquets aux baisers volés. Peut-être est-ce là que j'ai puisé le goût. Le goût de l'eau, le goût du pain, et celui du perlimpimpin...*
L'eau fraîche qui roule dans le fond de la gorge, comme un torrent sur les lèvres assoiffées. Et puis, de suite après, le pain. La bouchée qui tapisse le palais de sa robe ronde et chaude. C'est merveilleux une bouchée de pain. Cette croûte geôlière qui crisse sous la dent, craquante, caramélisée. Libérant d'un coup la mie parfumée, légère, alvéolée. A l'esprit acéré, légèrement acide, fruit d'un levain chargé de promesses. Un pain source de vie, un corps, mi-dieu, mi-homme : le pain nourricier.


Parlons-en du pain, nous les rois de la baguette, les chantres du genre. Qu'en avons-nous fait de ce trésor qui fut la base de notre alimentation bien avant que celle de notre réputation ? Ciment social autant que pilier de notre gastronomie, nous avons un jour perdu son chemin. Je le dis d'autant plus facilement que j'en suis le témoin. Celui d'une génération qui a commencé à se perdre, avant de se renier tout à fait dans les méandres américanisants des buns et bagels de l'ère Mac Do. Qui a porté aux nues le pain de mie Harry's, ou Jacquet son ersatz franchouillard. Vous savez, le pain bien mou, bien blanc, à la mie mousseuse, à qui aujourd'hui l'on retire la croûte dans les sandwhiches, histoire de ne pas heurter le dentier plus-blanc-que-moi-tu-meurs de monsieur et madame tout le monde.

L'industrialisation, le panier garni pour tous, le bonheur de la ménagère qu'ils disaient dans les années 60 -ces fameuses Trente Glorieuses dont nous ne devrions pas être si fiers, réflexion faite. Je me souviens de la boulangère du quartier, une jolie alsacienne au sourire élégant, dont les baguettes n'avaient rien à envier au pain des supermarchés naissants -mie foisonnante au goût de papier mâché  remplie d'adjuvants destinés à faire le bonheur du consommateur lambda autant que de son mari, contraint de se lever moins tard, le tout sponsorisé par les merveilleux Moulins de Paris (c'est beau l'amour), croûte  écaillante, je n'ai pas d'autre terme, même si je ne parle pas d'huîtres, là.
Je me souviens aussi que malgré mon jeune âge, j'ai souvent triché. Quand ma grand-mère m'envoyait chercher le pain, j'avais des absences. Je tournais de l'autre côté de la rue. Direction la boulangerie historique dont le jeune patron, reprenant le flambeau, était parti se former à New-York auprès d'un Français installé là-bas -idée a priori pour le moins saugrenue, mais ces années étaient déraisonnables, et donnent la mesure de la considération du pain chez nous à l'époque... L'en était revenu avec ce qui s'approchait le plus du pain, le vrai - à l'époque je ne savais pas que c'était le pain, mais je le pressentais, du haut des ficelles qui me servaient de jambes, en bonne Fifi Brin d'Acier que j'étais, nourrie à l'ancienne, loin de la tentation des sodas et de la malbouffe industrielle.

S'ensuivirent de nombreuses années de galère, à la recherche du graal. Oublions définitivement les années 90, qui ont bien failli enterrer le genre. Mis à part un certain Poilâne, à qui la survie de l'espèce, comme on dit, doit beaucoup. Comme dans un film, passons à l'accéléré. Une certaine prise de conscience du mur dans lequel nous allons à la fois en matière d'agriculture, de terre nourricière, d'écologie et de bien vivre, a permis l'éclosion d'une nouvelle génération de boulangers. Qui ont renoué avec le goût du pain. Le premier que j'ai rencontré s'appelle Thierry Delabre. Nous avons parlé longuement. Il m'a appris. L'histoire du blé, du pain. J'ai regardé l'homme qui danse devant son four. Et les larmes me sont montées devant ce chemin retrouvé.

Alors bien sûr, quand je suis arrivée sur Bordeaux, j'ai cherché le pain. Quelques amis, quelques conseils, et rien qui ne me convienne -je n'ai pas dit rien de bon, le pain est affaire de goût, mais je suis devenue difficile en la matière. Et Thierry m'a susurré un nom à l'oreille, un nom prédestiné. Vous voyez où je veux en venir. Je vais vous parler de Lamour. Louis de son prénom.
Il est beau Louis. Il est beau parce qu'il vit le pain, Il vit son pain. Il y a cette lumière, cette petite flamme quand il te parle de son métier, de sa vie. Et puis il y a la matière, le parfum qui vous enveloppe. Et son regard qui dit tant de sa passion.


Louis Lamour n'est pas venu au pain par hasard -y vient-on seulement par hasard ? Mais il a pris les chemins de traverse, passant par la finance, destin tout tracé par les études et l'histoire familiale, venu brusquement s'échouer un soir de 2008 sur l'écueil des subprimes dont le monde entier découvrait d'un coup le nom, le principe et le chaos qu'ils allaient engendrer. Ce soir-là il a eu envie de faire quelque chose de ses mains, quelque chose de concret, qu'il pourrait partager. Et le pain a sonné comme une évidence. Et de stage en formation, il a tout appris, cherchant à comprendre pour mieux faire surgir ce miracle chaque jour recommencé.
Ce n'est pas un chemin facile, le pain, cette alchimie née de la farine, du sel et de l'eau, façonnée par la fermentation d'un levain indigène. S'il faut beaucoup d'amour pour le faire, il en faut aussi et avant tout pour faire pousser le blé qui le confectionne. Des variétés anciennes, que quelques mohicans ont su préserver et cultiver avec passion. Philippe Guichard est de ceux-là, dont les blés de population  font le bonheur des pains de Louis.
Je pourrais vous parler chimie, transformation du gluten, temps de la pousse de la pâte, façonnage, rabats, température de cuisson, hygrométrie... Je préfère vous laisser découvrir ce qu'est le pain de Louis Lamour, vous laisser savourer cet instant précis où, dans une bouchée de pain, vous allez (re)découvrir le monde.

J'allais oublier tout le reste, les viennoiseries qui fleurent bon le beurre, les pâtisseries gourmandes, les pains de mie qui régalent l'oeil autant que les papilles, les sandwiches originaux et bien garnis, à emporter ou consommer sur place, dans une ambiance breakfast shop qui manquait au quartier. Et aussi l'ambiance, le sourire de la pâtissière, et le bonheur de Louis qui distribue de l'amour autant que du pain à ses clients.


Boulangerie Louis Lamour

Boulangerie innovante et traditionnelle à la fois. Ingrédients sourcés avec discernement, locaux autant que faire se peut, tout frais et fait maison.
7 Rue Ravez
33000 Bordeaux
06 49 44 92 08
Ouvert du mardi au samedi toute la journée, et le dimanche jusqu'à 13H00.
@bouloulam


Louis Lamour : "Je suis artisan, je fais mes #croissants. Et tout le reste de ma viennoiserie. Et tout le reste aussi. Et c'est important. Farine label rouge, beurre AOP, passion, amour, patience, respect. Voilà les ingrédients pour faire une belle viennoiserie."

* Perlimpimpin, Barbara